LPPR : tribune du Monde du 15/01, supplément sciences
Pour une réforme respectueuse des enjeux de la recherche publique
Tribune
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La future loi de programmation pluriannuelle de la recherche publique devra tenir compte des recommandations de la communauté scientifique, plaident plus de 30 sociétés savantes
Les scientifiques de toutes disciplines vivent mal, de plus en plus mal, les conditions d’exercice de leur métier. Ces hommes et ces femmes sont ensevelis sous des contraintesadministratives baroques et travaillent dans des conditions matérielles souvent indignes. Ils manquent de temps, de moyens et de perspectivesprofessionnelles pour accomplir leur double mission : produire des connaissances et les partager avec la société pour répondre aux défis éthiques, juridiques, sociaux, technologiques, climatiques ou environnementaux auxquels la société française est confrontée.
Cette situation résulte d’une incompréhension durable du rôle et des enjeux de la recherche publique par les décideurs politiques, trop préoccupés par des considérations économiques à court terme pour s’intéresser à une activité qui, par nature et comme nombre des défis sociétaux actuels, s’inscrit dans le temps long. La proposition d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) a l’ambition a priori louable de corriger cette myopie temporelle. Il faut pour cela qu’elle redonne effectivement à notre recherche publique les moyens financiers, humains et organisationnels lui permettant de remplir et d’étendre ses missions.
Des orientations qui ignoreraient les recommandations faites par la communauté scientifique depuis des années sur l’emploi permanent, les rémunérations, la place du financement sur projet, ou la nécessaire simplification administrative ne seraient pas comprises. Ainsi, plutôt que de conditionner tout investissement supplémentaire à la promotion idéologique d’un modèle de compétition exacerbée entre les acteurs de la recherche et au pilotage renforcé de leur activité, la LPPR doit respecter la réalité de terrain, collective et collaborative, des communautés de chercheurs et d’enseignants-chercheurs. Un soutien renforcé à quelques « stars » ne peut suffire. C’est aux collectifs et aux infrastructures de recherche dans leur ensemble qu’il convient de donner des moyens suffisants sur le temps long.
Les acteurs institutionnels qui défendent une répartition plus sélective encore des moyens sous-estiment les réussites du système actuel. La productivité scientifique de chaque euro investi dans la recherche publique française est similaire à celle observée aux Etats-Unis et dans la majorité des autres pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Si le législateur veut renforcer les contrôles sur l’argent public investi dans la recherche, il devrait ainsi commencer par mettre en place des procédures transparentes d’évaluation et de pilotage stratégique des 6 milliards d’euros annuels du CIR [crédit d’impôt recherche] qui, plus de dix ans après son introduction sous sa forme actuelle, peine toujours à démontrer son efficacité.
Au-delà d’une réorganisation administrative et d’un nécessaire accroissement significatif des moyens humains et financiers, cette loi est une occasion unique de donner plus de place à la connaissance scientifique et à l’expertise des chercheuses et chercheurs dans le débat public, dans la décision politique et dans l’action collective. Le rôle de la recherche dans la société ne peut en effet être restreint au transfert technologique de certains de ses résultats vers la R&D privée. Il faut certes développer les collaborations entre équipes de recherche publiques et privées, dans le respect des missions de chacun. Mais pour contribuer à la résolution des crises actuelles, les laboratoires publics de recherche doivent principalement œuvrer pour le bien commun. Il faut donc réaffirmer leur indépendance vis-à-vis des groupes de pression industriels et financiers.
Et surtout, pour que les sciences jouent leur rôle dans la société, il faut que les citoyennes et les citoyens se les approprient. La loi doit donner aux scientifiques le temps et les moyens d’aller davantage au-devant du public et d’associer celui-ci à certains projets de recherche. Soutenir les relais que sont le journalisme scientifique, en crise lui aussi, et les associations de médiation est pour cela nécessaire. Elle doit enfin donner aux jeunes femmes et hommes titulaires d’un doctorat, formés aux méthodes scientifiques et véritables « passeurs de sciences », une place plus importante dans la société française. La refonte en cours de l’ENA [Ecole nationale d’administration] et de l’accès aux hautes fonctions publiques doit être mise à profit pour permettre à la France de recruter une fraction significative de ses hauts cadres civils et militaires au niveau du doctorat, à l’instar de nombreux pays étrangers.
La LPPR ne doit donc pas se tromper de cible. Pour que la recherche publique joue pleinement son rôle de conseil et d’expertise au cœur de la société et contribue à la résolution des crises politiques, sociales et environnementales actuelles et à venir, la loi devra rétablir un dialogue sincère et sans préjugés entre les scientifiques, les décideurs économiques et politiques et les citoyens, après des décennies d’incompréhension, voire de défiance réciproque.
Premiers signataires : Anne-Violette Lavoir, Société française d’écologie et d’évolution ; Patrick Lemaire, Société française de biologie du développement ;Sylvie Pittia, Société des professeurs d’histoire ancienne de l’université ; Stéphane Seuret, Société mathématique de France.
Voir la liste complète des sociétés signataires sur Lemonde.fr, ainsi que le lien vers leurs recommandations pour la LPPR.